Kalymnos, les raisons du succès (et de ma déconvenue…)

Je ne présente plus Kalymnos, cette petite île grecque au large de la Turquie, paradis de la grimpe de renommée internationale. Qui, en tant que grimpeur, n’a jamais entendu parler de ses innombrables falaises toutes plus impressionnantes les unes que les autres, de ses longueurs dépassant régulièrement les 40m d’escalade, à chevaucher stalactites gigantesques et autres concrétions aux formes extravagantes ? La Mecque de l’escalade m’a-t-on dit. Et bien voilà, j’ai effectué mon pèlerinage en terre sainte, mes 7 jours de grimpe, l’esprit tourné vers le Dieu de la colonnette et du bi-doigt tendu.

L’aspect logistique du voyage fut mené d’une main de maître par Bérenger et Julie. Nice-Milan en voiture, Milan-Kos en avion, Kos-Kalymnos en bateau… Tout se déroule comme prévu et nous arrivons à l’hôtel Panormitis, juste sous la célèbre et effrayante Grande Grotta, sans le moindre encombre.

Au dessus de nous se trouve une énorme barre formant les secteurs principaux de Kalymnos, accessibles à pied depuis Massouri. Massouri, c’est le petit village où se retrouve le soir la majeure partie de notre communauté à cordes, après une dure journée de prières et d’ablutions, pour festoyer, se restaurer, se reposer et reconstituer son capital « peau des doigts » en vue d’un lendemain assez identique à la journée passée. Quand je parle de village, mieux vaut imaginer Massouri comme une espèce d’infrastructure mal ordonnée destinée à satisfaire le pèlerin : hôtels pour dormir, locations de scooters pour se déplacer, bars pour se désaltérer, restaurants pour se ressourcer, mini-markets pour tenir la journée, de souvenirs pour penser qu’ailleurs des gens bossent dur, et bien sûr quelques magasins de montagne en cas d’imprévu. Brefs, soignés aux petits oignons les pèlerins. Et le tout pour une somme relativement modique (autour de 10€ la nuit, 10€ la journée de scoot et 10€ le repas).

Voilà donc notre chemin de croix (pipeau) tout tracé : levé, petit-déj, choix du secteur, scooter, marche d’approche, escalade, marche de retour, scooter, douche, bar, restaurant, mini-market, dodo… Et c’est reparti le lendemain, le tout au milieu d’une foule de grimpeurs toutes nationalités confondues (dont beaucoup de français, vacances de la Toussaint obligent), doudounes high-tech sur les épaules et bonnets bien serrés aux oreilles par 25°C à l’ombre, vivant exactement au même rythme.

La clé du succès de Kalymnos : du prêt à l’emploi, version discount. Tout est simple, à portée de main, et pas cher. De l’assiette de poisson frais à la voie de 55m (repos totaux : 27, bons repos : 43, difficulté max intrinsèque : 6a+, cotation : 8a+). Et de fait, tout est lustré, sans grain, surfaces polies sous la gomme noire de nos chaussons autant que sous nos sombres âmes de consommateurs insatiables et destructrices d’authenticité. Quelques petits billets dans les poches des locaux (mais pas trop quand même) et nous nous sentons tout permis. Nous équipons, nous consommons, nous consumons, et pour nous accueillir, il faut toujours plus de place. Le faux village s’étend, les locaux cherchent à juste titre à en tirer profit. Et le paradis est vicié… Un voile de regret s’étend sur la beauté naturelle de l’île, sur les splendides couchés de soleil sur Telendos et sur l’incroyable et sauvage grotte de Sikati. Et même la ligne d’escalade la plus majeure qui soit (et pour la peine, il y en a un paquet) ne peut parvenir à détourner mon esprit de ces pensées.

Un petit tour dans l’arrière-boutique du magasin d’éponge, aux filets bourrés de ce qui fut autrefois la richesse de l’île, là où l’odeur de la mer semble résister à celle de l’argent, ne parvient même pas à soulager ma conscience : vaut-il mieux vivre du tourisme de masse que du commerce de l’éponge ? Serviteur du petit bourgeois grimpeur et de son porte-monnaie ou esclave d’une vie de dur labeur, paumé sur un bout d’île et sans espoir d’épanouissement ?

Ce qui est sûr, c’est que cette île n’appartient plus aux kalymniens, elle appartient aux grimpeurs. Nous l’avons achetée pour en faire notre terrain de jeu, au détriment de sa culture, de ses habitants et de son environnement. Ainsi mon pèlerinage se transforme en pêché : celui de participer à cette mascarade hypocrite où la satisfaction personnelle s’obtient à moindre effort, celui d’appartenir à une communauté aux valeurs dégradées.

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8 réponses à Kalymnos, les raisons du succès (et de ma déconvenue…)

  1. sylvie dit :

    salut sylvain,

    je viens de lire ton article à propos de l’ile sacrifiée sur l’autel de la sainte consommation …. très bien écrit et de surcroix qui retrace exactement le sentiment que j’ai moi aussi eu sur l’ile pendant cette semaine dernière.
    Je me suis sentie un peu comme l’occidentale embourgeoisée à la recherche de l’inutile et du dérisoire . ça n’est pas un sentiment que j’avais eu jusque là, dans aucun trip caillou.
    comme tu le disais, vive annot !
    biz
    sylvie

  2. Guilhem dit :

    Sylvain Carletti (1981-) auteur du mouvement romantique margino-vertical post-moderne ayant connu un grand succès populaire au début du XXIème siècle notamment grâce à ses oeuvres phares « Annot, un soir d’automne », « Chagrin de biceps » ainsi que son très sulfureux pamphlet « J’irai cracher sur vos croix ».

    Blague à part, j’ai pris un grand plaisir à te lire cher ami… je viendrai faire un tour à Annot un de ces quatre…
    A+

  3. touriste dit :

    D’abord on dit « kalymniote » et non kalymnien.
    Vous le sauriez si vous aviez pris le temps de discuter avec l’autochtone!
    Il y en a des franco-grecs, habitants insulaires bien avant l’heure de gloire de la grimpe.
    Je veux dire discuter de la vie dur l’île, de la Grèce, des traditions, en dehors d’un pur dialogue commercial avec celui qui vend son île aux grimpeurs.
    Prendre le temps, au lieu de chercher seulement la croix, de parler un peu avec une bergère sur les hauteurs perdues de Telendos, avec des pêcheurs à Arginonta, avec des clients d’un petit restaurant quasi vide bien loin de Masouri.
    Mais a priori vous avez préféré vous agglutiner à la masse informe des touristes grimpeurs et suivre comme un mouton au milieu des brebis.
    Ce n’est donc de la faute ni de l’île, ni des grimpeurs en général mais de vous en particulier si vos vacances ont ressemblé à cette mascarade.
    Comme si à Majorque par exemple on restait sur la plage bétonnée d’un hôtel géant au lieu de tracer la route pour voir le beau et « l’authentique ».
    Pour circonstances atténuantes, je pense qu’avec les années la situation doit sans doute empirer du côté tourisme de masse grimpante à Kalymnos, mais il doit rester possible de se faire plaisir. Enfin je l’espère!

  4. Davy dit :

    Ressenti bien décrit, ceci étant c’est aux autochtones de se positionner …
    Après a titre personnel j’essai de m’en tenir à çà ( ):
    Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on
    Est plus de quatre on est une bande de cons.
    Bande à part, sacrebleu ! c’est ma règle et j’y tiens.
    Dans les noms des partants on n’verra pas le mien.

    Et sur tout autre chose, ton capteur (ou l’objectif) il a des poussières (les grosses taches sur le coucher de soleil sur Telendos), faut le nettoyer !

  5. Seb dit :

    Hum hum hum…
    Si je suis assez d’accord sur le côté un peu trop massif du tourisme grimpe de kalymnos je trouve ton commentaire très francais blasé à la recherche de « l’authenticité ». Oh oui que l’on préfère voyager dans une île « authentique » où les habitants vivent d’une activité « authentique » comme la pêche à l’éponge. As tu un peu discuté avec les habitants pour savoir que cette activité étaient déjà bien morte avant l’arrivée de la grimpe ? Avec le gérant d’un petit bar de Telendos qui te raconte comment presque tout sa famille est morte dans cette activité ?
    C’est vrai que tout ça fait très « massif » mais oui ça permet aussi aux locaux de pouvoir continuer à vivre sur leur île qui était déjà touristique par ailleurs avant le tourisme grimpe. Personnellement je ne suis pas non plus un grand fan de ces lieux de grands rassemblement mais je suis content que mes sous profitent aux habitants de cette île et le tourisme grimpe me parait plus « sain » que le gros tourisme de masse que nous avons sur notre côte d’azur…

    Sinon la raison du succès de Kalymnos pour moi c’est clairement la quantité de ligne majeures et ce-ci dans un niveau aussi assez modeste. Le reste est venu après pas l’inverse 😉

  6. Bebegrimpeur dit :

    Merci pour l’article.
    Il y a des voies très faciles sur kalymnos? Genre dans du 5?

    Sinon tu peux aller grimper à Parnitha la prochaine fois. Hors saison c’est juste desert. Mais ca demande une autre organisation j’imagine. Et un niveau de grimpe superieur au mien: )

    Les Atheniens ne sont vraiment pas fan d’escalade.

  7. Knorr dit :

    Pour compléter les commentaires de Touriste et de Seb,
    Tiendriez-vous le même discours sur des sites tout autant touristiques totalement faits pour le confort des grimpeurs et faisant tourner l’économie locale mais en France ? Ressentez-vous cette même honte de participer à une « mascarade hypocrite » ?
    (par exemple Orpierre ou les georges du Verdon pour n’en citer que quelques uns)

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